Enquête en Occitanie – Episode 2 – Le chainon manquant

Comme souvent, il suffit d’un rien mais qui fait tout.

Ce n’est que récemment que m’a été confiée la bribe d’information aussi ténue qu’essentielle, point d’appui sur lequel il était possible de soulever le monde : le lieu de naissance de l’arrière-grand-père Raoul BERTRAND [Sosa 26] ! Il était en réalité de Réalmont (81), à moins de 30 km plus au nord de Castres, à mi-chemin vers Albi.

J’avais le fil qui mènerait à la pelote….

Allons donc fureter du coté de sa naissance, en 1882 à Réalmont.

Magie d’internet (et surtout de la numérisation des actes d’Etat-civil), son acte de naissance (27 juillet 1882) est rapidement trouvé. On découvre évidemment les parents (Jean Louis Benjamin BERTRAND [Sosa 52] et Albine JOURDES [Sosa 53]) et l’on gagne ainsi une 6e génération.

Au passage, Raoul devient, pour l’état-civil, Léon Raoul BERTRAND. Visiblement, son prénom d’usage (celui ayant imprimé la mémoire familiale) est Raoul.

Et le butin ne s’arrête pas là : grâce aux généreuses mentions marginales de l’acte [commentaires rajoutés sur le coté de l’axcte d’état-civil], on découvre ce que l’on ne cherche pas : une inattendue seconde vie de l’aïeul se dévoile. Il a épousé …. une autre femme qu’attendue : Maria Antoinette GOURE !

Ses lieu et date de décès sont également mentionnés (Tarbes, 24 janvier 1953), ce qui nous fait gagner du temps.

Enquête en Occitanie – Episode 1

Il n’y a que de mauvaises raisons au fait de n’avoir que très peu exploré la généalogie de ma belle-famille. Il fallait s’y remettre.

Comme d’autres sans doute, j’ai buté sur « le mur des 100 ans » qui – paradoxalement – rend plus difficiles les recherches de gens qui nous sont proches dans le temps que celles d’ancêtres vivants il y a plusieurs siècles.

S’agissant des grand-parents (paternels) [4e génération] de mon épouse, j’étais ainsi bloqué des deux cotés

– [paternel-paternel] du grand-père DE LA CRUZ, on connaissait les noms/prénoms des parents et guère plus, pour cause d’éloignement (Espagne)

– [paternel-maternel] de la grand-mère BERTRAND d’Occitanie (comme on dit maintenant), on en connaissait à peine plus.

Pour le premier groupe familial, les travaux ont toujours été repoussés à un ultérieur séjour en Espagne.

Pour le second, la recherche s’avérait compliquée. Raoul BERTRAND [Sosa 26] était en effet chef de gare à la compagnie des chemins de fer du Midi, à Saix (81) en 1930, banlieue de Castres. Typiquement un métier de déraciné, donc sans aucun moyen de savoir d’où il vient. De son épouse LAJOINO, on avait seulement le prénom…

Alors, où chercher les racines familiales ?

Ils faisaient quoi nos ancêtres ?

A ce jour, du 17e au 19e siècle inclus, voici les métiers qui ont été identifiés au sein de notre groupe familial, déclinés par générations : [en gras, nos ancêtres directs]

Mathurin (1639-1729) est dit marchand Sarger (1674), Marchand (1684), Lainier (1703).

Mathurin (1684-1728) est Sarger (1711)

Louis-Jean (1695-1775) est dit Sergier, Closier (1728)

Jean (1705-1761) est Sarger (1711)

Louis (1724-1776) : on ne sait pas mais on peut deviner…

Jean (1720-1778) est Marchand, Aubergiste, Sarger

François (1726-1778) est Sargé (1768), marchand d’étoffe

François (1768-1818) est Serger (1794), fabriquant d’étoffe (1805), Maitre Sarge (1810)

Sa 2e femme Marguerite Galernaux est tisseuse (1818)

Michel François (1753-….) est cordonnier

Pierre (1762 – …) est boulanger

Alexis (Pierre) (1796-1871) est teinturier

Sa femme Marie-Perrine Gendrie est fille domestique

Pierre (1800-…) est marchand (1838) et marchand huilier (1840)

René (1803) est Sarger

Louis René (1808) est Cultivateur, Fileur de laine, Sarger

Pierre François René (1786-1846) est Serger (1832)

Alexis Pierre (1841-1911) est Huillier (1871) puis Employé

Sa femme Renée Jaglin est Ouvrière (1866)

Henri Anatole (1838-…) est domestique, cultivateur

Pierre François (1835-1911) est laboureur

Alexis Joseph (1871-1937) est comptable (1903)

Louis (1870- …) est cultivateur

Henri (1870- …) est cultivateur, Bûcheron

Eugène Albert (1874-1954) est soldat

Si l’on prend en compte le fait que certains individus ont plusieurs métiers, on obtient la répartition suivante :

Métiers de tisserand (Sarger, lainier, fileur de laine, tisseuse) : 11

Employés (Employé, domestique, comptable, ouvrier) : 5

Artisans (cordonnier, boulanger, huilier, teinturier) : 5

Agriculteurs (Cultivateur, Laboureur, Bûcheron) : 4

Commerçants (aubergiste) : 1

Autres (soldat) : 1

Le profil professionnel de la famille est atypique sans être exceptionnel. Nos plus anciens ancêtres ne vivent pas des fruits de la terre comme l’immense majorité de leurs contemporains mais exercent une activité fortement ancrée autour de la tradition familiale (on la retrouve sur 5 générations et c’est même un monopole pour les deux premières générations) : sarger/serger.

« Le serger se différencie du drapier, car il travaille sur un métier légèrement plus élaboré. C’est-à-dire que si un serger peut faire un drap, un drapier, lui, ne peut pas faire de serge sur son métier. Le métier fut très tôt hiérarchisé, on commençait par être compagnon, puis serger, et enfin maître serger après avoir obtenu ce qu’on appelait la « maîtrise » (comme dans beaucoup d’autres métiers). Les sergers devaient alors se conformer aux règlements instaurés par Colbert, surtout après 1669.

C’est une étoffe de grande qualité jusqu’au Haut Moyen Âge, sur le déclin ensuite pour devenir moyenne et très moyenne dans certaines régions pauvres, et quasiment disparaître et se confondre parmi les « lainages » au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle. Actuellement, elle existe en qualité « luxe » chez les grands couturiers pour homme. »

La serge de laine, par Annie Guyard-Commien (2011)i

Le fil de trame passe sous un, puis sur trois autres fils de chaîne en décalant d’un fil à chaque passage d’où l’effet d’oblique sur l’endroit.

On ne sait pas dire non plus si les fils se mettent à leur compte ou bien sont tout simplement au service de l’entreprise familiale.

La deuxième moitié du XIXe marque une rupture. On relève les premiers métiers très peu qualifiés ou tout du moins, ne relevant pas d’une transmission d’un savoir technique : domestique, employé, ouvrier , laboureur (individu louant sa force de travail pour les travaux des champs) et ce, indépendamment de la branche familiale.

ihttp://www.enmodetextile.com/2013/11/20/serge-laine-annie-guyard-commien/

Quand avons-nous changé de nom ?

6359033098684731091309516280_last-name-mar-1-2011-4-600(Il n’est pas inhabituel de voir l’orthographe des noms de famille évoluer lorsque l’on remonte dans le temps. Deux facteurs concourent massivement à cet état de fait : une population majoritairement illettrée et l’absence d’un état-civil développé (pas de papiers individuels octroyés systématiquement, pas de suivi centralisé des individus, etc…).

Dans le cas du nom de famille support des travaux que vous consultez («(le) manceau »), l’apparition/disparition de la particule « le »ajoute une inconnue à l’équation : cette particule aurait-elle disparu avec la Révolution Française (de 1789) pour prendre la distance avec l’ancien régime ?

La lecture attentive des actes divers permet de constater que la transition s’est faite sur une très longue période, par intermittence et, en tout état de cause, a débuté avant la révolution, dédouanant cette dernière de toute influence. A tout le moins, la Révolution et la mise en place d’un Etat-civil séculaire (1792) ont-ils cependant permis de (à peu près) fixer l’orthographe sous sa forme actuelle.

Comme on peut le voir ci-dessous, le nom de famille s’est longtemps cherché sous la plume des curés et officiers d’etat-civil. Dans les actes suivants, voici comment est retranscrit le nom de famille :

En 1674, mariage de Mathurin (père) Lemanceau et Elisabeth Lecerf.

En 1684, naissance de Mathurin, fils aîné de Mathurin (père) Le Manceau

En 1694, mariage de Mathurin (père) Le Manceau et Louise Pointeau

En 1695, naissance de Louis Jean, fils du même Mathurin (père) le manceau.

En 1723, mariage de Louis Le Mansau et Anne Bruslé.

En 1724, Naissance de Louis, fils de Louis Manceau.

En 1729, inhumation de Mathurin Le Manceau.

En 1731, contrat de Louis Lemanceau, sarger.

En 1768, naissance de Louis-René, fils de Louis Manceau et Marie Vaslin.

En 1775, inhumation de Louis Manseau.

En 1794, mariage de françois manceau et françoise le doux.

En 1837, mariage de Alexis manseau et Perrine Gendrie

En 1841, naissance de Alexis Pierre Manceau , fils de Alexis manceau et Perrine Gendrie

En 1866, mariage de Alexis Pierre Manceau et Renée Marie Jaglain (Jaglin à la naissance)

L’orthographe n’a plus varié par la suite.

Il s’appellera Pierre !

Cela fait des annst-pierre-riberaées que je laissais perdurer une fratrie aux dates curieuses…

A l’hotellerie de flée (49), aux confins du Maine et Loire, François Lemanceau et Françoise Ledoux ont en effet toutes les peines du monde à obtenir un petit « Pierre ».

Qu’on en juge par ces trois naissances :

– Pierre 17.11.1798 – 4.2.1799

– Pierre 17.11.1798 (27 brumaire An VII) – 18.11.1798 (28 brumaire An VII)

– Pierre 26.11.1799 (5 frimaire An VIII) – 4.2.1800 (15 pluviose An VIII)

Plusieurs soucis se posaient :

– les deux premiers Pierre ont en réalité la même date de naissance…

– le dernier Pierre (mort à deux mois…) est supposé avoir épousé une Jeanne Rousseau (information dont l’origine s’est perdue mais qu’a priori je n’ai pas à réfuter)

– le premier et le troisième ont une étrange ressemblance dans la date de décès…. qui sent l’erreur de resaisie

Mais surtout, scoop du jour (30.10.2016), il y a la découverte d’un Pierre Manseau vivant ! (en 1838) du coté de Saint Quentin des Anges qui descend de notre couple.

Il fallait tirer cette affaire au clair. Et en grattant mieux les registres, l’on découvre l’origine de cet imbroglio sur les dates…

oOo

En réalité, les 3 premiers Pierre n’en font que 2.

Le 17 novembre 1798 (27 brumaire an VII), à l’Hotellerie de Flée, François Le Manceau et Françoise Ledoux ont leur troisième enfant : Pierre.

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Aujourd’hui vingt sept brumaire de l’an sept de la république française à dix heure du soir par devant moi René Bruneau agent de la commune de l’hotellerie de flée département de maine et loire canton de Bouillé ménard dû le dix germinal de l’an VII pour dresser les actes destinés à constater les naissances mariages et décès des citoyens, est comparu en la salle publique de la maison commune de l’hotellerie de flée, françoi manseau serger demeurant au village des anges commune de l’hotellerie lequel assisté de pierre pecquot oncle raporté du coté maternel agé de trente cinq an masçon demeurant au village des anges commune de quantin et de jeanne manseau tante de l’enfant du côté paternel agée de trente ans demeurant aussi au village des anges commune de quantin département de la mayenne, canton de pommerieux a déclaré à moi René Bruneau que françoise le doux son épouse en légitime mariage est accouchée aujourd’hui huit heure du matin d’un enfant mâle qui m’a presanté et auquel il donne le prénom de pierre d’après cette déclaration que pierre pecot et jeanne manseau tesmoins ont du côté certifié conforme à la vérité et la représentation qui m’a été faitte de l’enfant dénommé j’en ai rédigé le présent acte que françois manseau père de l’enfant et pierre pecquot et jeanne manseau témoin on dit ne savoir signer. Fait à la maison commune de l’hotellerie de flée les jours mois et ans susdits.

Huit jours après, le 25 novembre 1798 (5 frimaire An VII), Françoise donne naissance à un second garçon, …. également appelé Pierre (!). On peut en déduire que l’on a eu affaire à des jumeaux décalés dans le temps et que l’aîné est déjà décédé.

17981125_hotelleriedeflee_naissance_pierre_manseau_filsdefrancoisetfrancoiseledoux

Aujourd’hui cinquième jour du mois de frimaire de l’an sept de la république française à six heures du soir par devant moi françois cohon agent de la commune de l’hotellerie de flée département de maine et loire canton de bouillé ménard élue le cinq nivose de l’an cinq pour dresser les actes destinés à constater les naissances mariages et décès des citoyens, est comparu en la salle publique de la maison commune de l’hotellerie de flée, françois manseau serger demeurant au village des anges commune de l’hotellerie lequel assisté de françois ledoux oncle de l’enfant du coté maternel agé de trente quatre ans cordonnier demeurant aussi au village des anges commune de quantin et de jeanne manseau tante de l’enfant du coté parternel agée de vingt neuf ans demeurant aussi aux anges commune de quantin département de la mayenne canton de pommérieux a déclaré à moi françois cohon que françoise ledoux son épouse en légitime mariage est accouchée de ce matin à dix heures d’un enfant mâle qu’il m’a présenté et auquel il adonné le prénom de pierre. D’après cette déclaration que françois ledoux et jeanne manseau tesmoins ont certifié conforme à la vérité et représentation qui m’a été faitte de l’enfant dénommé j’en ai dressé le présent acte que françois manseau père de l’enfant , françois ledoux et jeanne manseau tesmoins ont déclaré ne savoir signer ; fait à la maison commune de l’hotellerie de flée les jours, mois et ans susdits.

(C’est la première fois que j’observe la naissance de jumeaux décalés)

Le petit Pierre ne passera pas l’hiver et décédera le 3 février 1799 (15 pluviose An VII) à dix heures du matin.

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Aujourd’hui quinzième jour du pluviose de l’an sept de la république française à quatre heures du soir par devant moi françois cohon agent de la commune de l’hotellerie de flée département de maine et loire canton de bouillé ménard élue le cinq nivose de l’an cinq pour dresser les actes destinés à constater les naissances mariages et décès des citoyens, sont comparu en la salle publique de la maison commune de l’hotellerie de flée, françois manseau serger demeurant au village des anges commune de l’hotellerie agé de vingt neuf ans et père du décédé françois chauvin laboureur agé de trante huit ans demeurant au bourg tesmoins oculaire de l’enterrement et non parent. Lesquels m’ont déclaré à moi françois cohon que pierre manseau est mort aujourdhui à dix du matin dans la maison de son père agé de deux mois dix jours. D’après cette déclaration je me suis sur le champs transporté au lieu de ce domicile je me suis assuré du décès dudit pierre, et en vertu des pouvoirs qui me sont délégués j’en ai dressé le présent acte que françois manseau père de l’enfant et françois chauvin tesmoins ont dit ne savoir signer à la maison commune de l’hotellerie de flée les jours mois et ans susdits

C’est étrange : l’agent d’état-civil évoque (à 16h…) un enterrement. L’enfant est mort à 10h du matin. Cela fait court.

Autre curiosité : l’acte de décès du jumeau ainé n’est pas dressé. Y aurait-il eu une double décalration de naissance pour un même enfant ? C’est peu probable. L’acte de décès est en revanche parfaitement (et inhabituellement) aligné sur la seconde naissance : « deux mois et 10 jours » signifie 70 jours (les mois révolutionnaires font 30 jours). Pile poil l’écart entre 25 novembre et 3 février.

Il n’y a dès lors plus de « Pierre » vivant dans la famille. La place est libre pour prénommer le futur enfant…

Et dans l’année qui suit en effet, François Le Manceau et Françoise Ledoux auront leur sixième enfant : Pierre Manceau qui, lui, vivra plusieurs années. Pas de trace de sa naissance à ce jour.

Illustration : Saint Pierre (1629), de José Ribera, Musée de l’Ermitage

Décollage !

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Faire de la généalogie, c’est une sorte de quête personnelle mais que très vite l’on souhaite partager. Mais comment. Un site ? Pas facile d’y trouver les dernières nouveautés. Un recueil ? Le travail n’est jamais terminé.

L’idée d’un blog prend alors forme. Tentons l’expérience.